Depuis la Loi Séparatisme [1], les parents ont l’obligation de faire inscrire leur enfant dans un établissement d’enseignement public ou privé. Par dérogation, ils peuvent être autorisés à donner l’instruction en famille.
L’autorisation d’instruire un enfant dans la famille est fondée sur des motifs strictement limités :
- 1° L’état de santé de l’enfant ou sa situation de handicap ;
- 2° La pratique d’une activité sportive ou artistique intensive ;
- 3° L’itinérance de la famille en France ou l’éloignement géographique de tout établissement scolaire public ;
- 4° L’existence d’une situation propre à l’enfant motivant le projet éducatif [2].
Après l’exercice d’un recours administratif préalable obligatoire devant la commission présidée par le recteur de l’académie, les parents peuvent demander l’annulation de la décision de refus d’instruire leur(s) enfant(s) en famille devant le tribunal administratif compétent.
La lecture des décisions rendues par le tribunal administratif de Rennes ces derniers mois met en lumière que :
- – Le taux d’annulation des décisions de refus d’autoriser l’instruction en famille est faible.
- Cependant, certaines procédures ne vont pas à leur terme en raison du changement de position de l’administration au stade du recours administratif préalable obligatoire ou en cours de procédure.
- C’est pourquoi il est toujours pertinent de faire appel à un avocat pour analyser les chances de succès d’une procédure et, le cas échéant, mener la procédure.
- – Le motif tenant à l’existence d’une situation propre à l’enfant motivant le projet éducatif est celui qui donne lieu à plus de contentieux.
- Cela s’explique certainement par le fait qu’il est celui choisi par les familles qui ont à cœur d’offrir à leur enfant une instruction différente de l’instruction scolaire classique.
- Lorsque la demande est fondée sur l’existence d’une situation propre à l’enfant, les parents doivent prouver l’existence d’une situation qui dépasse les considérations générales et fréquentes chez un enfant (timidité, énergie débordante, difficulté dans la gestion des émotions, besoin de pauses fréquentes dans l’apprentissage…) et qui ne peut pas être prise en charge par le système scolaire de manière satisfaisante pour l’enfant.
- – La circonstance que l’autorisation d’instruire l’enfant en famille ait été délivrée au titre de l’année scolaire précédente n’ouvre pas droit, à elle seule, au bénéfice d’une autorisation pour l’année scolaire suivante.
- De même, la circonstance que des enfants bénéficient d’une telle autorisation au sein d’une fratrie n’ouvre pas droit, à elle seule, au bénéfice d’une autorisation pour l’ensemble des frères et sœurs composant la fratrie.
Retour sur quelques jugements et ordonnances récents rendus par le tribunal administratif de Rennes sur des demandes d’annulation de refus d’autoriser l’instruction en famille :
Jugements rendus à propos de l’existence d’une situation propre à l’enfant motivant le projet éducatif :
- Tribunal administratif de Rennes, 27 mars 2025, M. D et Mme E (enfant de 6 ans) : le caractère très réservé d’un enfant, son besoin de se sentir en confiance pour pouvoir s’exprimer librement, ses difficultés à agir ou à prendre la parole en public et à réguler ses émotions, ne caractérise pas une situation propre à l’enfant de nature à justifier une dérogation à l’obligation d’instruction au sein d’un établissement scolaire.
- Dans cette affaire, les parents avaient pourtant produit un bilan psychologique attestant du haut potentiel hétérogène de l’enfant et de l’importance de mettre en place des adaptations et des aménagements pour faciliter son apprentissage. Cela reste insuffisant pour le juge qui évoque la possibilité d’une scolarité adaptée.
- Tribunal administratif de Rennes, 27 mars 2025, M. et Mme B (enfant de 5 ans) : le souhait de poursuivre des apprentissages selon un rythme adapté à un enfant et à la gestion de ses émotions ne constitue pas une situation propre à l’enfant de nature à justifier une autorisation d’instruire son enfant dans la famille.
- En effet, un établissement d’enseignement public ou privé est en mesure de s’adapter au rythme d’un enfant et à la gestion de ses émotions, de telles considérations relevant, selon le juge, de considérations générales et fréquentes chez des enfants de 5 ans.
- Les résultats satisfaisants des contrôles pédagogiques réalisés à l’issue de l’instruction en famille suivie par l’enfant au titre de l’année précédente et la volonté d’une continuité pédagogique ne caractérisent pas plus une situation propre à l’enfant.
- Tribunal administratif de Rennes, 27 mars 2025, Mme D et M. E (enfant de 10 ans) : la circonstance que l’enfant était auparavant instruit en famille ne caractérise pas une situation propre à l’enfant de nature à justifier une dérogation à l’obligation d’instruire son enfant au sein d’un établissement scolaire, et ce, quelle que soit la qualité du projet pédagogique.
- Tribunal administratif de Rennes, 26 mars 2025, M. et Mme B (enfant de 3 ans) : le souhait de mener des apprentissages selon un rythme adapté à l’objectif d’autonomie de l’enfant, de sécurisation affective et d’accès à la nature ne caractérise pas une situation propre à l’enfant.
- En effet, selon le juge, l’école est en mesure de prendre en compte de telles considérations générales et fréquentes chez des enfants de 3 ans qui sont nouvellement scolarisés.
- La circonstance qu’un frère ou une sœur aîné ait bénéficié de l’instruction en famille ne caractérise pas plus l’existence d’une situation propre à l’enfant justifiant que l’instruction en famille soit autorisée.
Jugements rendus à propos de la réalité de l’itinérance de la famille :
- Tribunal administratif de Rennes, 13 mars 2025, M. et Mme C (enfant de 4 ans) : les parents qui se limitent à évoquer la possibilité d’une itinérance à venir sur le territoire français et une référence à des déplacements entre la France et le Gabon ne démontrent pas la réalité d’une itinérance de la famille en France de nature à justifier une dérogation au principe d’instruction au sein d’un établissement scolaire.
- La circonstance qu’une autorisation d’instruire en famille ait été accordée l’année précédente en se prévalant d’une situation identique n’a pas d’incidence dès lors que les parents n’ont pas produit, dans le cadre de la procédure, les documents transmis aux services de l’éducation nationale et les pièces susceptibles d’établir l’itinérance de la famille au titre de l’année scolaire concernée.
- Tribunal administratif de Rennes, 17 octobre 2024, M. G (enfants de 6 et 12 ans) : la production d’une carte géographique de la France exposant l’itinéraire des déplacements de la famille sur une période d’un an, d’un tableau identifiant les régions ou départements dans lesquels la famille se rendra chaque semaine durant l’année scolaire 2024-2025, d’une carte d’abonnement auprès de France Passion pour le stationnement du camping-car, du certificat d’immatriculation de leur véhicule, de photographies établissant la conversion d’un ancien bus scolaire en véhicule aménagé et de la lettre par laquelle les parents ont notifié à leur propriétaire leur préavis de départ de la maison qu’ils louent ne suffisent pas à établir la réalité du projet d’itinérance en famille.
- En effet, le juge relève que les parents n’ont pas établi la compatibilité du projet avec leurs obligations professionnelles.
Ordonnances rendues par le juge des référés :
- Tribunal administratif de Rennes, Juge des Référés, 29 novembre 2024, M. et Mme B (enfant de 5 ans) : la circonstance qu’un enfant devra être scolarisé au sein d’une école n’est pas de nature à porter atteinte aux intérêts de l’enfant ou à remettre en cause la qualité et le rythme de son apprentissage, et ce, quand bien même la pédagogie suivie par l’école serait différente de celle mise en œuvre par les parents jusque-là.
- A défaut pour les parents, d’établir que leur enfant présenterait des besoins particuliers qui ne pourraient pas être pris en compte par l’école, l’urgence à suspendre les effets d’un refus d’autoriser l’instruction en famille dans l’attente du jugement au fond n’est pas établie.
- Tribunal administratif de Rennes, Juge des Référés, 15 novembre 2024, Mme E et M. B (enfant de 3 ans) : les parents qui soutiennent que l’instruction en famille est la plus conforme à l’intérêt de leur enfant, son épanouissement, son état de santé psychique et émotionnel et à ses besoins, en termes de rythme de sommeil, de physiologie, d’intimité et de modalités d’apprentissage n’établissent pas une situation propre à l’enfant, quand bien même ses frère et sœur sont instruits en famille.
- Par ailleurs, le juge estime que la scolarisation de l’enfant, même contrainte et non préparée, ne peut être regardée, en elle-même, comme portant atteinte à l’intérêt supérieur d’un enfant ou de nature à affecter son état de santé, son équilibre, son développement ou encore le rythme de ses acquisitions.
- A défaut d’établir un doute sérieux sur la légalité de la décision refusant l’instruction en famille, il n’y a pas lieu d’en suspendre les effets dans l’attente du jugement.
Pour aller plus loin :
Voir « Instruction en famille : quelles sont les règles à connaître ? », Maëlle Meurdra, 15 septembre 2022
Voir « Instruction en famille – Les précisions des juges sur les motifs justifiant la demande d’autorisation », Maëlle Meurdra, 29 avril 2025
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[1] Loi n°2021-1109 du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République dite « loi séparatisme »
[2] Articles L. 131-1 et s., notamment l’article L. 131-5, et R131-11 et s. du code de l’éducation
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